Janabé Bilal Habachi as
BILÂL D'AFRIQUE: Les Origines 19
L'Environnement de cette Époque 21
La Position de la Femme dans la Société Mecquoise de l'Époque 22
La Lumière qui Brilla dans l'Obscurité 24
Bilâl, Le Surveillant du Temple des Idoles 25
La Perplexité de Bilâl 27
Vers La Bonne Chance 29
Le Premier Musulman Originaire d'Ethiopie 31
Le Visage de la Vérité 32
Le Rassemblement des Opposants 34
L'Interrogatoire de Bilâl 37
La Foi, une Affaire Personnelle 41
Des Rêves Diaboliques 44
Au Zénith de Ses Aspirations 45
Emprisonnement et Travaux Forcés 47
Sérénité sous l'Emprise des Chaînes 49
La Fermeté et le Sacrifice 51
Hommage Rendu à Bilâl 53
Ô! Ô! Je brûle 55
«Bilâl est Mort!» 57
Plus amer que le poison 58
Abû Bakr Rencontre le Maître de Bilâl 62
Bilâl Gagne Sa Liberté 64
L'Esclavage ou la Liberté 67
Une Conduite Sauvage 68
Le Beau Spectacle de la Ville de Médine 73
La Supplication du Saint Prophète 76
L'Esprit de la Fraternisation en Islam 79
Le Grand Slogan de l'Islam 82
L'Excellence de l'Azan et du Muezzin 87
Le Menteur est Brulé à Mort 92
Bilâl Blâmé 94
Bilâl dans la Bataille de Badr 95
Bilâl Prend sa Revanche 98
Bilâl professe la position incomparable de l'Imam 'Alî 100
La Terre Natale 102
Les Souvenirs du Passé 105
Dans l'Attente de leur Sort 106
Bilâl au Sommet de la Ka'bah 108
La Vague d'Objections 109
Encore la Ségrégation Sociale 112
Le Saint Prophète Confiné dans Son Lit 114
Bilâl fait des Investigations 116
Médine présente ses Condoléances au Décès du Saint Prophète 118
La Maison du Chagrin 119
L'Événement (La Réunion) de Saqîfah 120
Le Rôle Constructif de l'Imam 'Alî dans la Sauvegarde du Message de l'Islam 127
Bilâl Fait la Grève 128
Bilâl Exilé 133
Le Dernier Azan 138
PRÉFACE 143
Ibrâhîm Ibn Mohammad 147
Asmaha Najâchî - (Empereur d'Ethiopie) 147
Ayman Ibn 'Obayd - Le Martyr de Hunayn 152
Mahjah - Le plus vertueux 152
Luqmân - L'Esclave vertueux 153
Yâsir - Le Martyr de Khaybar 153
Yâsir - Un homme de prière 154
Mâbûr al-Hâhî 155
Mâhir 155
Abû Râfi' Ibrâhîm Qibty 155
Osâmah Ibn Zayd Ibn Hârithah - Le Commandant 156
'Obaydullâh Ibn Abû Râfi' - L'écrivain 158
'Alî Ibn Abî Râfi' 158
Les fils de Fidh-dhah 159
Abû Nayçar - Le Compagnon de L'Imam 'Alî 159
Naçîr Ibn Abî Nayçar 160
Jaun Ibn Huwî - Le serviteur d'Abû Tharr 160
Hajjâj Ayman 'Obayd 163
Mariya Qibtiyyah - La Mère des Croyants 163
Mariya Bint (fille de) Cham'ûn Qibtiyyah - La servante du Prophète (P) 164
Sîrîne - La femme du poète 164
Om Ayman - La "mère" du Saint Prophète 165
Fidh-dhah - La mémorisatrice du Saint Coran 168
Chohra - La petite-fille de Fidh-dhah 175
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La Biographie de Bilâl l'Ethiopien fait partie intégrante de l'histoire des premiers temps de l'Islam. Sa vie et sa conversion à la Foi musulmane révèlent une tranche importante de cette histoire. Bilâl n'était pas simplement un Compagnon du Prophète parmi bien d'autres. Il s'en détachait par des traits qui lui étaient propres.
Tout d'abord Bilâl figurait parmi la première poignée d'hommes à avoir capté la lumière de l'Islam, à adhérer à son Message, à subir par conséquent la foudre des polythéistes qui régnaient sur la Mecque et l'Arabie, et à constituer le premier noyau de la future Communauté. Ce noyau qui comptait comme non-arabes, outre Bilâl, notamment Salmân le Persan et Sohayb le Romain, annonçait déjà le caractère universel de l'Islam né au coeur d'une Arabie où la race, l'origine, l'appartenance tribale, la haute naissance s'affirmaient comme les plus hautes valeurs de la société. Fait significatif, à signaler au passage, Bilâl sera choisi par le Prophète comme muezzin attitré de la communauté musulmane grandissante. C'est là une position unique et enviable. Elle équivalait à la fonction de héraut de l'Appel de l'Islam dont la colonne vertébrale et la manifestation la plus saillante était la Prière. Et c'était justement Bilâl qui convoquait en quelque sorte, la foule des Compagnons au rassemblement en vue de la Prière communautaire cinq fois par jour, puisqu'il avait la charge de l'"Azan", l'"Appel à la Prière".
Bilâl incarne ensuite, mieux que quiconque un, aspect à la foi douloureux et héroïque de l'histoire ou de la vie des pionniers de l'Islam, soumis aux persécutions sauvages et impitoyables des polythéistes mecquois et faisant montre d'une résistance stoïque. En effet, la conversion de Bilâl se résume en une suite de séances de torture, de supplices et de souffrances physiques insupportables que son maître lui a infligés pour qu'il renie la Religion de Mohammad (P) et auxquels Bilâl a opposé une résistance quasi surhumaine, nourrie constamment par l'effet transcendant d'une foi inébranlable. Bilâl était condamné à mourir sous la torture, à moins qu'il ne renone à sa foi, mais la joie de conserver celle-ci le transcendait et le rendait insensible à la douleur et indifférent à la mort, ce qui ne manqua pas de déconcerter et de décontenancer ses bourreaux polythéistes qui, en le soumettant à cette torture barbare, croyaient avoir toute latitude pour étouffer dans l'oeuf les prémices d'une révolution inexorable, .
Enfin, l'origine africaine de Bilâl, son statut social, son état spirituel et intellectuel avant sa conversion à l'Islam, confèrent à celle-ci une signification particulière et appellent à une réflexion sur l'attirance spontanée et naturelle des Africains pour l'Islam, et sur la raison de cette attirance.
Avant sa conversion à l'Islam, Bilâl était un esclave rangé, et menait une existence tranquille, normale et sans histoire. Pas plus son environnement familial que le milieu social ne l'incitaient à une velléité de contestation de son destin ou de son statut. Esclave de naissance, c'est-à-dire né de deux parents eux-mêmes esclaves et vivant en harmonie et en paix chez leurs maîtres, Bilâl n'a jamais connu d'autre statut que le sien.
Ayant grandi dans une société où la principale activité des gens était les razzias dont le but ou le butin consistait en l'asservissement des victimes (lorsqu'elles n'avaient personne pour payer la rançon de leur libération) et la confiscation de leurs biens, il ne voyait rien d'anormal dans son statut d'esclave ou son destin, somme toute courant et ordinaire à l'époque antéislqmique et obscurantiste. Par ailleurs, tout comme ses parents qui avaient été bien notés et bien appréciés par leurs maîtres, Bilâl donnait entière satisfaction à ses derniers, lesquels lui confièrent subséquemment la tâche de la supervision de leur propriété et de leur temple. Et n'ayant ni une volonté libre ni une pensée indépendante, il n'a connu que la religion polythéiste à laquelle il avait adhéré automatiquement et qu'il pratiquait sincèrement.
Rien ne prédestinait donc Bilâl à vouloir changer de croyance ou de pensée un jour, ou à un volte-face aussi radical. Pourquoi cette prise de conscience soudaine, déconcertante pour son entourage, dès qu'il a entendu le Message de l'Islam? Pourquoi s'être détaché de ses semblables, de sortir des rangs, et de défier ses maîtres, ainsi que la foule des polythéiste qui l'entourait et qui peuplaient l'Arabie pour se placer parmi les tout premiers à oser souscrire au Message du Prophète Mohammad (P), et à abdiquer une religion qu'ils avaient toujours pratiquée avec dévotion?
Lorsque son maître s'est mis à le martyriser pour qu'il renonce à sa nouvelle croyance, Bilâl, agonisant ne laissa échapper qu'un mot à peine audible qui semblait sortir du plus profond de son être: Ahad! (Allâh est Unique!) Ahad! Ce cri pathétique, chargé de symbole et lancé comme un défi à la figure arrogante des polythéiste traduit une vérité infrangible et révèle en fait le lien naturel et indestructible entre la Créature humaine et son Créateur qui a déposé dans sa nature cette tendance innée au monothéisme dont l'Islam incarne toutes les dimensions et dont Bilâl fournit la meilleure illustration.
En effet, selon le Coran, la Croyance à l'existence d'Allâh, le Créateur Unique, est une affaire de "fitrah", de nature innée:
«Dirige tout ton être vers la Religion exclusivement (pour Allâh), telle est la nature qu'Allâh a originellement donnée aux gens - pas de changement à la création d'Allâh...».(1)
Commentant ce verset coranique l'Imam Ja'far al-Sâdiq dit: «La nature d'Allâh (fitrat-ullâh), c'est la faculté à connaître la Foi, qu'Allâh a déposée dans la nature humaine. Et c'est ce qui explique pourquoi Allâh a dit dans un autre verset coranique: Si tu leur demande: "Qui a créé les cieux et la terre? ils diront, certes: "Allâh".(2) ».(3)
Donc pour le Coran, croire qu'Allâh est le Créateur de l'univers est une évidence:
«Y a-t-il un doute au sujet d'Allâh, Créateur des cieux et de la terre ...».(4)
«De cette façon, commente al-'Allâmah al-Tabâtabâ'î, le Coran indique que le Créateur n'a pas besoin d'être démontré, ou plutôt IL est indémontrable, étant l'Existence infinie. De là l'impossibilité, pour l'esprit humain fini de l'atteindre et pour la raison humaine limitée de Le cerner. C'est pour cette raison que nous constatons qu'Il ne cherche pas à établir dans le Coran une démonstration de la Substance de Son Être, mais seulement de Ses Attributs en montrant que cet univers a forcément un Créateur, un Seigneur, un Constructeur, une Référence etc.».(5)
D'aucuns pourrait objecter que si la Foi en Allâh est déposée dans la nature innée de l'homme, pourquoi il arrive qu'elle se fane, s'éclipse ou même s'éteigne totalement comme cela se produit chez les athées?
A cette objection le Coran répond préalablement en déclarant que la Foi pourrait être voilée ou ensevelie par l'accumulation des "sécrétions" des désirs, des tendances et des concepts pervers, ce qui conduit à une maladie de "coeur": «Il y a dans leurs coeurs une maladie, et Allâh laisse croître leur maladie...».(6) Et lorsque le "coeur" est malade, la vue intérieure, (la clairvoyance) se dissipe, la conscience s'abêtit et s'abrutit, et l'homme manque de discernement: «Leur coeur ont été scellés: ils ne comprendront donc pas».(7)
Développant cette vérité coranique, le Prophète (P) dit: «Tout nouveau-né naît selon la nature innée (c'est-à-dire Musulman). Ce sont ses parents qui en font un Juif, un Chrétien ou un adepte des Mages».(8)
Par conséquent, l'hérésie et la déviation s'introduisent dans la nature innée sous l'effet du milieu, de l'environnement et de l'ensemble des circonstances de lieu et de temps.
Toutefois cette déviation et cette hérésie n'éradiquent ni n'anéantissent la nature innée, mais la détournent de sa voie ou de sa fonction originelle et l'affectent dans une autre fonction, étant donné qu'il est impossible de la supprimer: «Telle est la nature qu'Allâh a originellement donnée aux hommes - pas de changement à création d'Allâh».(9)
De là apparaît à l'évidence le rôle primordial des Prophètes dans la vie de l'humanité, car l'arrêt de la fonction de la nature innée aboutit aux flétrissures de la doctrine du monothéisme, et par voie de conséquence, à la dégradation de la vie sociale de l'humanité, sous l'effet de la domination des doctrines polythéistes. Et là les Prophètes interviennent pour réveiller la nature innée, détruire les accumulations des voiles et libérer l'esprit de ses chaînes. Décrivant la mission des Prophètes, l'Imâm 'Alî (p) écrit: «Allâh a envoyé Ses messagers aux gens périodiquement afin de leur faire respecter le pacte de Sa Nature (Création), de leur rappeler ce qu'ils ont oublié de Ses Bienfaits, de leur communiquer Ses Preuves, de faire ressortir ce qui est enterré dans leurs esprits, de leur montrer les Signes de Sa Puissance dans la voûte céleste élevée au-dessus de leurs têtes et sur la terre qui leur sert de demeure, et à travers les ressources qui assurent leur subsistance, et les échéances de leur périssement... ».(10)
Ce texte dévoile clairement la nature de la mission des Envoyés, laquelle consiste à éveiller la conscience des gens afin qu'ils se réveillent et sortent de leur apathie, de leur insouciance et pour qu'ils se conforment aux exigences du monothéisme, lequel est inscrit dans leur nature innée. Car en fait le Messager d'Allâh ne demande pas aux gens de croire à des doctrines étrangères à leur for intérieur, mais à leur nature innée en dépoussiérant celle-ci et en la débarrassant des "voiles" qui l'ont entourée et des sédiments successifs apportés par les croyances déviationnistes. Lorsque l'Imâm 'Alî (p) dit que le Messager a pour mission de "ressortir ce qui est enterré dans les esprits", il entend la clairvoyance originelle, la conscience naturelle ou la vue intérieure, et c'est de cette façon et par ce moyen qu'Allâh «les fait sortir des ténèbres vers la lumière».(11)
Bilâl avait suivi la croyance de ses maîtres, comme il les avaient suivis dans tous les autres domaines de la vie, mais dès qu'il a entendu le Message de l'Islam le voile qui masquait son coeur et son esprit s'est dissipé et le lien originel entre la tendance au monothéisme immanente à la nature humaine et le Message monothéiste que le Prophète (P) a apporté s'est rétabli immédiatement. Dès lors, comme on le verra, ni la torture impitoyable à laquelle il sera soumis ni la menace de la mort qui semblait imminente ne pourront briser ce lien. Lorsque Bilâl entendit le Message de l'Islam, il sembla découvrir le sens de la vie, la signification de son existence et une parfaite concordance entre les tendances de sa nature et les préceptes islamiques.
Bilâl n'avait ni une pensée libre, ni une instruction au-dessus de la moyenne, ni une conscience plus éveillée que celle de son entourage. S'il s'est détaché de l'ensemble de la société pour se placer parmi les premiers à répondre à l'Appel de l'Islam, à avoir une prise de conscience de l'aberration de la voie dans laquelle il marchait, c'est sans doute parce que les voiles qui masquaient sa nature innée étaient moins épais que chez bien d'autres.
Son origine africaine ne pourrait-elle pas expliquer cette présence ou cette transparence de la nature originelle où l'inné reste le caractère prédominant même lorsqu'il se trouve en état latent ou revêtu de l'acquis? Bilâl était le premier représentant de l'Afrique parmi les premiers adeptes de l'Islam naissant. Sa conversion à cette religion monothéiste universelle était on ne peut plus spontanée et volontaire, loin de toute incitation matérielle, psychologique ou sociale. Depuis lors et jusqu'à nos jours cette attirance spontanée des Africains pour l'Islam ne s'est jamais démentie, malgré toutes les tentatives faites à travers les siècles pour les en détourner et malgré les incitations sous toutes formes et le lavage de cerveau systématique en vue de les orienter ailleurs et vers d'autres horizons doctrinaux et d'autres croyances.
D'autre part, restés proches de la nature, et imprégnés sans doute par les lois harmonieuses qui la régissent, les Africains sont peut-être attirés par la concordance parfaite entre le législatif et le constitutif dans l'Islam, ou en d'autres termes, par le réalisme de la législation islamique qui «vise dans ses lois et règlements des buts qui s'accordent avec la réalité humaine, sa nature, ses penchants et ses caractéristiques générales»,(12) sans imposer à l'homme des codes de conduite qui ne reflètent pas sa nature et ses inclinations, car elle incarne minutieusement la nature de la constitution de l'homme, et représente l'autre face de cette constitution. Tous les règlements, les lois et les règles morales de l'Islam ont des racines qui s'enfoncent dans l'essence de l'homme, c'est-à-dire dans sa nature innée, car ils remontent en fin de compte au monothéisme, lequel est une affaire de nature innée et celle-ci constitue le fondement de la société monothéiste».(13)
C'est sans doute ce que la nature de Bilâl, restée pure et transparente malgré les voiles qui l'ont masquée pour un temps, a saisi d'emblée, et c'est ce qui explique la promptitude et la spontanéité de la conversion à l'Islam de ce premier représentant de l'Afrique. Telle set peut-être l'une des premières leçons à tirer de la lecture de la biographie de Bilâl.
Bien plus qu'une figure familière de l'histoire brillante de l'Islam, Bilâl était le héraut loyal du Monothéisme, le protégé du Saint Prophète et l'un de ses compagnons les plus dévoués. Sa personnalité revêt à ce sujet une très grande importance dans l'avènement de l'Islam car il était une figure de proue révolutionnaire et un exemple édifiant quant à sa condition de simple esclave anonyme et des plus déshérités de la société barbare, alors gouvernée par le système aristocratique rude et despotique de l'époque Anteislamique.
C'était un être asservi par un système de classes des plus arbitraires, captif aux mains de la plus rude tribu, les Banî Jumuh et sous le joug de l'un des plus vils des polythéistes de l'époque jâhilite (obscurantiste du pré-Islam), Omayyah Ibn Khalaf. À travers les épreuves douloureuses que vécut Bilâl l'esclave Noir, va se dégager le trait marquant de sa personnalité, à savoir sa foi profonde, ferme et révolutionnaire dans le monothéisme. C'est ce trait qui met en évidence sa véritable nature et qui le présente comme un modèle de vertu.
En effet, sa foi au Monothéisme constitue un fait sans précédent dans l'histoire des religions et des destinées des grands héros de l'humanité. N'est-ce pas un miracle psychologique que de voir un jeune esclave illettré, âgé à peine d'une vingtaine d'années, élevé dans un système de valeurs pernicieuses des plus malsaines, se réformer fondamentalement en un laps de temps si insignifiant et exhiber avec véhémence son attachement à la nouvelle religion en proclamant malgré la torture physique et morale: Ahad (Allah est Un): qui est la formule de la croyance en un seul Dieu.
Sous le soleil ardent de la Mecque, Bilâl l'esclave subissait sous les regards meurtriers et abjects de ses tortionnaires, un supplice des plus horribles. En effet depuis plusieurs jours, Ommayah Ibn Khalaf l'avait martyrisé en déposant sur sa frêle poitrine, des blocs de pierres chauffées à blanc par la chaleur torride du désert de l'Arabie et il lui ordonnait de renier sa nouvelle foi et d'adorer Uzzâ et Lât (noms de dieux idoles des Arabes de l'époque Anteislamique).
Malgré ses souffrances interminables, Bilâl restait imperturbable et inébranlable, et il répétait inlassable-ment: Ahad, Ahad, Ahad. Comment expliquer ce profond changement? Quelle était cette force qui animait cet homme et le transformait si radicalement? Où puisait-il cette énergie et cette courageuse abnégation?
Tout au long de ce livre nous tenterons de répondre à ces questions en expliquant le caractère de cet illustre personnage, ce fidèle compagnon du Saint Prophète Mohammad (P). Nous essayerons de définir le rôle décisif qu'il joua à l'aube de l'avènement du mouvement Monothéiste de l'Islam. Notre humble dessein est d'inviter nos lecteurs à méditer sur les adeptes augustes, magnanimes et martyrisés des premiers jours de l'Islam et à réaliser l'apport indéniable des Africains à l'avènement de l'Islam. Peut-être leur inspireront-ils les moyens de faire face aux difficultés et à l'adversité que traverse la Ummah à l'époque actuelle.
BILÂL D'AFRIQUE : Les Origines
Dans les régions montagneuses avoisinant la Mecque vivait une tribu dénommée les Banû Jumuh. Tous les membres de cette tribu étaient des idolâtres et s'adonnaient tout comme les autres tribus à l'élevage et à l'agriculture. Prévalaient chez eux aussi les coutumes et les usages de l'époque Antéislamique, tels que les razzias, le pillage, le vol etc. Cette tribu riche et puissante se permettait de capturer des gens pour s'en servir comme esclaves.
Bref, les Banû Jumuh avaient peu de vertus morales et on ne trouvait chez elle aucune trace de bonté et de bonne conduite. Parmi les esclaves de cette tribu, un nommé Rebâh se démarquait par sa haute moralité, sa conduite irréprochable et son intégrité inégalable. Aussi lui avait-on confié la supervision de la propriété de la tribu.
Lorsque l' "Armée de l'Eléphant" marcha sur la Mecque pour démolir la Sainte Ka'bah, Hamâmah, la nièce (la fille de la sur) d'Abrâhâ, le chef de l'armée, se rendit sur une montagne proche afin de se détendre et de faire une partie de chasse. Aussitôt, quelques hommes appartenant à la tribu de Kath'am qui campait dans le voisinage de la Mecque comme d'autres tribus sauvages et cruelles, attaquèrent les soldats d'Abrâhâ.
Selon les coutumes en vigueur chez les Arabes de l'époque, cette dame fut attaquée et finalement le chameau qui portait la litière royale tomba entre leurs mains.
Comme il existait des liens d'amitié entre les Banî Kath'am et les Banî Jumûh, les premiers gardèrent pour eux la litière d'or, les bijoux et tous les autres objets précieux et offrirent la dame en cadeau aux seconds. Ainsi une nouvelle personne vint s'ajouter aux esclaves féminines de cette tribu.
Hamâmah alla vivre avec la tribu des Jumûh pendant un certain temps, tout en gardant toujours l'espoir de pouvoir un jour rejoindre l'armée d'Abrâhâ. Toutefois, plus le temps passait plus elle se rendait compte qu'elle ne devait plus espérer se libérer de cette tribu et qu'il fallait donc se résigner à rester avec ses ravisseurs.
Pendant son séjour parmi les Jumûh, Hamâmah fut fortement impressionnée par la moralité et la bonne conduite de Rebâh qui était plus ou moins considéré comme son gardien. Constatant une entente et une affinité de caractère entre les deux captifs, le chef de la tribu les maria.
Les deux conjoints commencèrent ainsi une nouvelle vie et vécurent plusieurs années en faisant preuve de beaucoup d'amour et de sincérité l'un envers l'autre. Pendant cette période, ils mirent au monde deux garçons et une fille. Les deux garçons s'appelaient Bilâl et Khâdid, et la fille, Ghufrah. Comme leurs parents, les enfants étaient traités en esclaves de la tribu.
Quelques années plus tard, Khalaf, le chef de la tribu mourut. Il laissa derrière lui plusieurs fils dont l'aîné était Omayyah. C'était un homme grand qui paraissait très arrogant et rude. Tous les membres de la tribu le craignaient, et la plupart d'entre eux le considéraient avec respect. Peu de temps après, Rebâh aussi rendit l'âme. Bilâl ainsi que sa mère, son frère et sa sur continuèrent à vivre avec la tribu.
Bilâl était devenu un homme de haute taille avec un visage brun foncé tirant vers le noir. Il acquit le titre de "Né-natif" de la tribu, et les membres de celle-ci, spécialement Omayyah était très gentil avec lui.
Toute la tribu l'aimait tellement qu'elle le nomma au poste de son père et lui confia la supervision de leur propriété et de leur temple-idole.
Omayyah avait l'habitude de visiter la cité, comme son père avec les esclaves. Il éprouvait une sympathie particulière pour cet esclave noir qui n'était pas comparable aux autres.
L'Environnement de cette Époque
Pendant des années, le soleil avait rayonné sur deux pays civilisés, en l'occurrence la Perse et Rome. Ces deux empires dominaient tous les autres pays à cette époque mais ni l'Arabie, ni la région de la Mecque n'avaient attiré leur attention car pour eux cette partie du monde était peuplée de tribus bédouines qui ne méritaient pas que l'on s'y intéressent.(14)
Les habitants de cette région d'Arabie étaient exposés à d'innombrables troubles. Ils vivaient dans la plus grande ignorance et subissaient toutes sortes d'oppressions. Dans chacune des maisons, une place était aménagée pour l'adoration des idoles et chaque tribu avait sa propre divinité. Ils installèrent également un certain nombre d'idoles décorées d'or et d'argent , au centre de la ville.
De plus ils sculptèrent pour eux-mêmes des idoles dont le nombre était égal à celui des jours de l'année, soit 360 idoles appartenant aux plus importantes tribus arabes (15), qu'ils placèrent dans la Sainte Ka'bah.
Le feu destructeur de la guerre ne s'éteignait jamais vu l'ambiance belliqueuse dans laquelle vivaient ces tribus et de nombreux jeunes y laissaient leur vie. Parfois les guerres se prolongeaient tellement qu'on oubliait que la paix et le confort existaient, et qu'on pensaient qu'il était normal de vivre dans un tel enfer. Le pillage était devenu une profession. Les pilleurs qui ignoraient le Tout-Puissant Allah, attaquaient sans hésitation et sans scrupule toutes les caravanes qui passaient, et réservaient de plus un très mauvais traitement aux victimes de leurs pillages, les opprimant sauvagement.
La Position de la Femme dans la Société Mecquoise de l'Époque
Dans toutes les tribus de l'Arabie, on éprouvait une telle haine et un tel mépris envers les femmes, que si une famille mettait au monde une fillette, on l'enterrait vivante. À leurs yeux, la meilleure des femmes était celle qui pour plaire à son mari, n'hésitait pas à tuer sa nouvelle-née. C'était là une coutume courante, une pratique ordinaire qui ne les affectait guère.
Le sens de l'honneur et la civilité n'avaient point cours chez eux. Seuls les aristocrates et les chefs des tribus menaient une vie aisée et confortable. Ils manquaient de sentiments de bonté et de philanthropie, et personnalisaient l'autoritarisme.
Ils capturaient les étrangers et les gens sans défense, les retenaient comme esclaves et les exploitaient, leur ôtant toute liberté et toute volonté. Ils n'étaient que les esclaves de leurs maîtres qui les traitaient comme bon leur semblait. Un jour on leur ordonnait de travailler, le lendemain on leur enjoignait de combattre pour la cause de leurs maîtres, et le surlendemain on les contraignait à se battre les uns contre les autres pour distraire et amuser leurs propriétaires. Par exemple, on obligeait deux esclaves à combattre jusqu'à la mort afin d'offrir un spectacle passionnant à un maître.
Dans un tel environnement, les femmes de murs légères ouvraient librement des maisons de débauche. En bref, la société de cette époque se caractérisait par la sauvagerie, l'ignorance, la débauche, une vanité sans limite, les razzias, les jeux de hasard, l'ivrognerie etc. Elle était gouvernée par des lois tribales et raciales, soumise à des coutumes et des cérémonies bizarres.
La vérité, la droiture, l'honnêteté, la chasteté, la philanthropie et les sentiments de bonté n'avaient aucun sens dans une telle société. En raison des guerres interminables qui les ravageaient depuis des années, les jeunes comme les vieux vivaient dans une détresse perpétuelle. La malfaisance ne laissait aucune place aux bonnes actions et toute la jeunesse s'adonnait à la débauche, en raison des murs dissolues qui prévalaient généralement dans cet environnement.
À une époque où la loi de la jungle prévalait sur tout, où les pilleurs agissaient ouvertement et impunément, où les pots-de-vin, les tributs, les commissions s'appelaient revenus, et où des milliers de gens dormaient le ventre vide, ignorés de tous, peu de personnes pouvaient réellement jouir des privilèges de la vie; la mort était devenue préférable à cette misérable existence.
La Lumière qui Brilla dans l'Obscurité
C'était dans cette société obscurantiste, polluée et arriérée qu'apparut soudainement l'étoile étincelante de la vertu, de la liberté et du monothéisme pour illuminer le monde ténébreux de cette époque-là.
Le Noble Prophète de l'Islam, Mohammad (P) fut désigné par le Tout-Puissant Allah pour éclairer et guider les gens, les conduire vers la félicité, les débarrasser de leurs mauvaises habitudes et coutumes, leur montrer la voie du progrès, de la perfection, de la connaissance et de la vertu. Il avait pour mission d'enlever les voiles de l'ignorance, briser les chaînes de la captivité, réformer la société corrompue, délivrer les gens du joug de l'esclavage et attirer leur attention sur le Tout-Puissant Allah, le Créateur des mondes.
Il est certain que dans une société telle que celle-ci, privée depuis une très longue période des bénédictions des Prophètes d'Allah, la faculté de perception de la vérité avait totalement disparu de l'esprit des gens, et par conséquent ceux-ci éprouvaient de la difficulté à s'habituer rapidement à la lumière.
L'ignorance qui prévalait alors, l'analphabétisme et toutes les idées de la déviation, de la mécréance qui leur avaient été inculquées et martelées au plus profond de leur subconscient, ne leur permettaient même pas d'imaginer un instant, qu'il existait réellement une autre voie que celle qu'ils avaient empruntée. Indubitablement, il est difficile pour une telle société de retrouver la voie de la lumière et de la vérité, après avoir baigné depuis des siècles, dans les ténèbres de l'injustice et de la tyrannie.
Bilâl, Le Surveillant du Temple des Idoles
Dès que le Prophète de l'Islam rendit public son Appel, et invita les gens à adorer Allah, la nouvelle Foi ne tarda pas à attirer l'attention des masses. Les personnes qui avaient gardé encore une lueur de droiture, d'humanité et de bon sens dans leurs coeurs, répondirent à l'invitation. Bien que leur nombre fût insignifiant, leur foi était très ferme.
Les chefs des tribus et la majorité des gens opposés au Message divin décidèrent de faire taire, par tous les moyens, cette nouvelle croyance, mais en vain. Le Saint Coran dit à ce propos:
«Ceux-ci veulent éteindre, de leurs bouches, la lumière d'Allah; mais Allah parachèvera Sa lumière, en dépit des incrédules». (Sourate Al Çaf, 61: 8)
Il est bien naturel de penser que lorsque des personnes arrogantes, qui dominaient leurs peuples depuis si longtemps, s'aperçurent que leur pouvoir et leur autorité commençaient à chanceler, et que les gens peu à peu allaient jusqu'à ignorer leurs commandements, elles se résolurent à s'opposer au Saint Prophète qui étendait son appel au détriment de leur existence.
Dès lors des groupes d'opposants affluèrent de tous côtés pour en finir avec le guide de cet appel divin et ils formèrent des alliances, tinrent des réunions et firent des discours. Leurs stratagèmes et leurs sinistres desseins occupaient leur esprit jour et nuit, en privé ou en public. Mettre fin à la vie du Saint Prophète était le seul sujet de discussion et leur seul objectif.
Malheureusement pour eux, leur opposition et leur hostilité farouches envers le Saint Prophète contribuèrent efficacement à faire connaître aux gens le Message de la Religion Divine et à conduire toutes les classes de la société à étudier attentivement le but et la politique du Saint Prophète.
Dans le même temps, les pauvres et les dépossédés qui n'occupaient aucune position dans la société apprirent par ce moyen l'existence du Saint Message et du complot qui se préparait pour le faire avorter. Eux aussi se mirent à discuter entre eux de cette affaire.
Pendant cette crise étrange et suite aux propos incohérents des Mecquois, Bilâl, le surveillant du temple des idoles se mit lui aussi à réfléchir.(16)
Le fait que Bilâl commença à méditer sur ce sujet eut un effet salutaire sur lui, car il avait si longtemps composé avec les idoles et n'avait même pas hésité à les invoquer les ayant considérées jusqu'ici comme des dieux. Mais aujourd'hui c'est le doute qui hante son esprit après avoir entendu l'Appel. Bilâl assista à l'effondrement de son ancienne croyance et il restait pensif et s'interrogeait sur sa foi.
Lui qui avait l'habitude de les implorer, de les supplier d'exaucer ses vux, lorsqu'il se trouvait seul avec elles, voilà qu'il se sentit soudainement désabusé et devint de plus en plus perplexe. Il se demanda au plus profond de lui-même comment des statues inanimées, incapables de se protéger elles-mêmes puissent être "Dieu" et que ces idoles qu'il s'appliquait chaque jour à nettoyer et à dépoussiérer avec tant de respect et de crainte, fussent les créateurs de la terre, du ciel, du soleil et des étoiles? Et comment les saisons et cette alternance du jour et de la nuit seraient tributaires dans leur existence du pouvoir et de la faculté de ces statues sculptées par la main de l'homme?
Pourtant, depuis sa naissance, Bilâl savait pertinemment que les idoles faisaient l'objet d'une vénération absolue! Obligé d'accepter la parole des idolâtres, bien qu'au fond de lui-même il restât perplexe et ne fût pas totalement convaincu, son âme ne reposât sur aucune certitude. C'est pourquoi son visage trahissait toujours un malaise enfoui et une perplexité profonde, lorsqu'il pensait aux idoles, ce qui le poussait toujours à réfléchir de plus en plus.
Chaque matin, lorsque le soleil se levait derrière les montagnes pour dévisager la vie humaine tumultueuse, les Mecquois donnaient l'impression de vaquer à leurs occupations quotidiennes. Toutefois, la perplexité et les mauvais desseins ne les abandonnèrent pas à leur sort, et maintinrent leurs esprits préoccupés. Ils réfléchissaient la nuit, se rassemblaient pendant la journée et se dispersaient tard le soir. L'angoisse restait le trait marquant de tout un chacun.
Bilâl ne demeurait pas à l'écart des Mecquois, et de leurs préoccupations. Tantôt il pensait sérieusement à l'Appel du Saint Prophète et tantôt réfléchissait sur sa propre foi autant que sur celle des autres. Déconcerté, il ne savait plus quoi faire ni quelle voie choisir.
Quelques fois il se disait: «Cet Appel de Mohammad satisfait l'intellect de l'homme. Toutefois, il est impossible que cette société qui se prosternait devant les idoles depuis si longtemps puisse renoncer à son objet d'adoration». Parfois il pensait: «Si les opposants le permettaient, il serait possible que la nouvelle Foi prévale. Mais que pouvait faire un individu face à ce monde d'idolâtrie?»
Après un certain temps passé dans cette incertitude, une lumière éclaira l'intellect de Bilâl, son esprit s'ouvrit et sa conscience fut réveillée et il se dit: «Il me semble que le Messager d'Allah a raison. Ce qu'il dit doit être correct».
Un tempête se déchaîna au plus profond de son coeur. On aurait dit que Bilâl avait atteint un autre monde et que son âme était au zénith des ciels, et survolait les hautes montagnes et les déserts arides, parcourant les prairies et les palmeraies verdoyantes pour clamer haut et fort que ces galaxies avec ces ciels et ces magnifiques étoiles et ce système minutieux qui les gouverne, que les levers et cochers du soleil et de la lune et l'apparition des quatre saisons et la création des êtres humains et des animaux de la nature, ne dépendent aucunement, dans leurs existence, d'idoles inertes, mais que leur Seigneur est certainement quelqu'un d'autre.
Ainsi Bilâl leva sa tête vers le ciel et s'écria:
«Je l'ai trouvé! Je l'ai trouvé! J'ai trouvé enfin ce qui préoccupait mon esprit pendant si longtemps. Oh! Comme j'avais tort!.
»Ces idoles sans vie pourraient-elles être les créateurs de ce monde magnifique? Ces pierres taillées et sculptées de nos propres mains pourraient-elles être nos créateurs et les créateurs de la terre et des cieux? Une idole pourrait-elle apporter le jour et la nuit? Ces statues aux formes grossières pourraient-elles entraver et nuire au mécanisme minutieux et fragile de ce monde?
»Non! Jamais! Elles ne possèdent point un tel pouvoir. J'avais tort. Les gens ont tort. Je dois aller voir le Messager divin qui a communiqué cet Appel vivifiant à l'humanité. Je peux lire cette vérité sur le visage lumineux et angélique du Messager. Je l'aime du fond du cur. C'est un homme intègre qui s'est maintenu à l'écart de cette société corrompue et de ses abominables pratiques. Les mains criminelles de la société n'ont pas pu le vaincre. Il est le seul homme à s'être élevé courageusement contre les coutumes et les traditions honteuses de cette époque, et afin de se tenir loin de l'arrogance des gens il n'hésita pas à se réfugier une bonne partie de sa vie dans une grotte de la montagne.
»Il semble qu'il ait trouvé la société tellement ignoble qu'il ne supportât plus de vivre parmi ses habitants, ce qui explique sa retraite spirituelle à l'écart de cette société et de ses pratiques viles et blâmables. Et il allait s'attacher dorénavant à réformer les mentalités et les murs dépravées de cette société corrompue».
Lorsque le soleil se leva progressivement, annonçant une chaleur torride, les rues qui grouillaient de personnes se vidèrent peu à peu et c'est à peine si l'on rencontrait parfois ça et là quelques mendiants ou nomades qui étaient venus dans la ville pour leurs affaires.
Bilâl sortit du temple des idoles dans l'espoir de pouvoir rencontrer à cette heure désertée, son "ami". Son visage cachait mal une angoisse profonde et il était évident que des idées nouvelles occupaient son esprit. La chaleur ardente ne l'affectait point. On eût dit qu'il ne sentait pas la sévérité du climat. Il traversait les rues à la hâte, les unes après les autres jusqu'à ce qu'il arrivât au Masjid al-Harâm (la Ka'bah). Il avait entendu dire que le Saint Prophète avait l'habitude de venir la nuit pour prier Allah à côté de la Ka'bah. Il voulait donc le voir sans attirer l'attention des gens. Lorsque Bilâl entra dans le Masjid al-Harâm, il vit le Saint Prophète et son cousin l'Imam 'Alî, debout côte à côte en train de faire la prière. Bilâl poussa un soupir de soulagement. L'amour du Saint Prophète envahit toute sa personne. Des larmes de joie remplirent ses yeux. Il voulut s'approcher du Messager d'Allah afin de l'embrasser, mais il eut l'impression que quelqu'un le retenait et lui disait dans le fond de son cur: «Attends, sois patient. Il se peut que quelqu'un te voie et que les choses tournent mal».
Le feu de l'amour brûlait dans ses entrailles. Il ne pouvait plus détourner son regard du visage céleste de Mohammad (P). Ses yeux restèrent fixés et immobiles. Il se disait: «Voilà l'homme qui peut nous guider, nous les esclaves vers la prospérité. Voilà l'homme qui a apporté des nouvelles du Créateur de ce monde magnifique et c'est lui qui a un message pour moi concernant ce que j'avais perdu...».
Bilâl restait très pensif, le regard toujours fixé sur le Saint Prophète. Le Messager d'Allah (P) et l'Imam 'Alî se levèrent après avoir terminé leurs prières, mais Bilâl demeura immobile sur place. On eût dit qu'il était perdu dans son regard arrêté sur le Saint Prophète. Après quelques minutes il se dirigea vers eux, prit la main du messager d'Allah et l'embrassa. Il embrassa du même coup l'Islam en prononçant les deux professions de Foi Islamique (al-chahâdatayn).(17) Ainsi les Musulmans virent leur nombre augmenter d'un nouvel adepte.
Le Premier Musulman Originaire d'Ethiopie
À peine quelques jours après que le Saint Prophète eut étendu son Appel à l'Islam au public et alors que le nombre des Musulmans n'excédait pas les quarante, Bilâl l'esclave éthiopien accepta l'invitation à l'Islam et posa son pied sur le chemin de la vérité et de la perfection.
Les opposants du Saint Prophète, avaient quant à eux très peur de la pénétration de l'Islam dans les coeurs des masses. Jour après jour, ils prenaient de nouvelles décisions, et ne s'attendaient point à ce que le maître de l'Appel puisse survivre dans la société plus que quelques jours, aux insultes et aux persécutions auxquelles ils l'avaient soumis, d'autant plus qu'étant habitués à l'ordre établi, les gens se montraient peu enclin à accepter une vérité qui n'avérait pas la leur.
Seul un petit groupe de personnes étaient restés à l'abri de la corruption et leur valeur augmentait jour après jour. Étant demeurés aussi purs que l'or, ils rejoignirent la Voie de la Vérité sans difficulté.
Ils constituaient les gemmes lumineuses de l'humanité et, c'est pourquoi contrairement à la majorité ils acceptèrent sans hésitation et avec une sincérité totale, l'Appel à l'Islam lancé par le Saint Prophète. Mais cette acceptation de la religion d'Allah leur coûta très cher, car ils subirent d'insupportables persécutions qu'ils endurèrent cependant avec vaillance et patience. Mais leur souffrance fit leur gloire tout au long de l'histoire de l'humanité.
Que leurs âmes soient bénies, car malgré toutes les souffrances qu'ils vécurent, ils restèrent fidèles au Guide céleste, le Prophète Mohammad (P), et contribuèrent ainsi à sauver l'humanité de l'annihilation.
Parmi cette constellation d'hommes épris de la Vérité, on peut noter bien entendu l'Imâm 'Alî, le cousin du Prophète et le premier à accepter son invitation, suivi de bien d'autres dont notamment Salmân al-Fâricî (de la Perse), Sohayb (de Rome), Billâl (d'Afrique) et Khubâb (de Nabat).(18)
Bien que Bilâl fût pris entre les griffes de l'un des ennemis les plus obstinés du Messager d'Allah, et mis sous surveillance étroite, son amour pour le Saint Prophète et pour la religion musulmane était tel qu'aucune contrainte ne pouvait l'en détacher.
On peut dire que Bilâl porta sur ses épaules l'étendard de la liberté de tous les Noirs. Il fut le premier homme à élever la voix pour la liberté des Noirs, et à faire savoir au monde sauvage et oppresseur qu'il n'y a pas de différence entre un Blanc et un non-Blanc. Avec son visage noir, son coeur lumineux et éclairé, aguerri par toutes les souffrances et les tortures qu'il avait dû subir, il cria la vérité et fit entendre le message de l'Islam à toutes les oreilles. Sa détermination et son enthousiasme à cet égard étaient tels qu'il surprit ses maîtres qui faisaient partie des ennemis du Prophète (P).
Après avoir embrassé l'Islam, Bilâl prit de plus en plus ses distances avec les gens, consacrant l'essentiel de son temps à la méditation et à l'adoration d'Allah. Il aimait réciter des supplications adressées à Allah dans un recueillement