Littérature arabe
La littérature pré-islamique
La période précédant la rédaction du Coran et le développement de la civilisation islamique est appelée, dans la propre et rénovante langue du coran, Jahiliya ou "ignorantisme/ paganisme". Ce terme d'"ignorantisme/ paganisme", qui a fait usage par la suite surtout entre les musulmans, connote l'idée d'une manière de vivre et d'agir propre aux infidèles censés ignorer la présence édificatrice de Dieu. Bien qu'il y ait peu de traces de littérature écrite durant cette période, la tradition littéraire orale est déjà riche et développée. C'est dans les dernières décennies de la fin du VIe siècle que commence à se développer une véritable tradition littéraire écrite. Les premiers écrits seront compilés deux siècles plus tard dans deux recueils de poèmes : les Mu'allaqât et les Mufaddaliyat. Ces ouvrages de synthèse ne donnent qu'une vision partielle de ce que pouvait être la littérature de l'époque. Il est probable que seuls les poèmes ou les parties de poèmes jugés les meilleurs aient été conservés.
La période coranique et l'Islam
Le Coran a eu une influence considérable sur la langue arabe. La langue utilisée dans le Coran a donné naissance à ce que l'on appelle aujourd'hui "l'arabe classique" qui jouit toujours d'un important prestige parmi les locuteurs des dialectes arabes modernes. Non seulement le Coran est la première œuvre de longueur significative écrite en arabe, mais il présente également une structure bien plus complexe que les travaux littéraires précédents avec son organisation en 114 sourates (chapitres) qui contiennent 6536 ayats (versets). Il présente de nombreuses figures littéraires : injonctions, narrations, homélies, paraboles (considérées comme des paroles divines), ainsi que des instructions et même des commentaires sur le Coran lui-même et la manière dont il sera reçu et compris. Paradoxalement, il est également autant admiré pour ses multiples métaphores complexes que pour la clarté de son texte, une caractéristique qu’il mentionne lui-même dans la sourate 16:103.
Bien qu’il contienne des éléments à la fois de prose et de poésie (ce qui le rapproche du genre littéraire saj’ ou prose rythmique), le Coran est considéré comme une œuvre unique qui n’entre pas dans ces classifications littéraires. Le texte est compris comme une révélation divine et il est considéré comme éternel et incréé. Cette approche particulière a conduit à l’apparition de la doctrine du i’jaz ou “inimitabilité du Coran”, qui affirme que personne ne peut copier son style littéraire ni même ne doit essayer. En proscrivant les écrits d’inspiration coranique, cette doctrine du i’jaz a peut-être un peu limité l’impact du Coran sur la littérature arabe. Le Coran lui-même critique les poètes dans sa 26ème sourate, appelée “Ash-Shu’ara” ou “Les Poètes”:
"Et quant aux poètes, ce sont les égarés qui les suivent." 16:224
Ceci a probablement exercé une pression sur les poètes pré-islamiques du VIe siècle, dont la popularité parmi le peuple les mettait en concurrence avec le Coran. En effet, on constate ensuite un manque manifeste de poètes dignes de ce nom jusqu’au VIIIe siècle. Une exception notable est cependant à relever, il s’agit d’Hassan ibn Thabit qui composa des poèmes à la gloire de Mahomet et fut connu comme le « poète du prophète ». Tout comme la Bible a tenu une place importante dans les littératures des langues étrangères, de même le Coran a marqué durablement l’arabe. Il est la source de nombreuses idées, allusions et citations et son message moral a influencé de nombreux travaux ultérieurs.
En dehors du Coran, les hadiths, qui consignent la tradition de ce que Mahomet est censé avoir dit et fait dans sa vie, constituent une véritable somme littéraire. La totalité de ces actes et travaux sont appelés sunnah ou « le chemin ». Parmi les hadiths, certains, considérés comme plus authentiques, sont distingués sous le nom de sahih. L’une des collections de hadiths les plus emblématiques inclut ceux de Muslim ibn al-Hajjaj et ceux de Mohammed al-Bukhari.
Une autre composition littéraire importante dans les études coraniques est le tafsir ou « commentaire sur le Coran ». Les écrits arabes en relation avec la religion incluent également de nombreux sermons et des textes de prières, comme les paroles d’Ali qui furent collectées au cours du Xe siècle dans le Nahj al-Balaghah ou « le chemin de l’éloquence »
L’érudition islamique
Les recherches sur la vie et l’époque de Mahomet et la détermination des parties authentiques des sunnah, furent une des premières causes majeures du développement de l’érudition en langue arabe. Une des raisons du rassemblement de la poésie pré-islamique tient au fait que certains de ces poètes étaient proches du prophète (comme par exemple Labid, qui a vraiment rencontré Mahomet et s’est converti à l’Islam) et que leurs écrits éclairaient l’époque à laquelle ces événements s’étaient produits. Mahomet a également inspiré les premières biographies arabes, connues sous le nom d’al-sirah al-nabawiyyah. La toute première fut rédigée par Wahb ibn Munabbih mais c’est Muhammad ibn Ishaq qui écrira la plus célèbre. Tout en traitant de la vie du prophète, les lettrés racontaient également les événements et les batailles du début de l’ère islamique, et leurs récits présentent aussi de nombreuses digressions sur les anciennes traditions bibliques.
Un certain nombre des premiers travaux étudiant la langue arabe ont été commencés au nom de l’Islam. La tradition rapporte que le calife Ali, après avoir lu un Coran qui présentait des erreurs, a demandé à Abu al-aswad al-Du'ali d’écrire un livre qui codifierait la grammaire arabe. Un peu plus tard, Khalil ibn Ahmad écrira le "Kitab al-Ayn", premier dictionnaire d’arabe qui comprenait également des travaux sur la prosodie et la musique. Son élève, Sibawayh, produira l’œuvre la plus respectée de la grammaire arabe, connue sous le nom de "al-Kitab" qui signifie simplement « le livre ».
D’autres califes ont exercé leur influence sur l’arabe comme Abd al-Malik, qui en a fait la langue officielle de l’administration du nouvel empire, et Al-Mamun qui a fondé la Bayt al-Hikma ou « maison de la sagesse » à Bagdad, centre de recherche et de traduction. Les cités de Bassorah et Koufa, qui entretenaient une rivalité tenace, furent deux autres foyers d’enseignement importants dans le monde arabe naissant.
Les institutions fondées principalement dans le but d'analyser en profondeur la religion islamique, fournirent un apport inestimables dans l’étude de nombreux autres sujets. Le calife Hicham ben Abd al-Malik fut déterminant dans l’enrichissement de la littérature en enseignant aux lettrés à traduire les œuvres étrangères en arabe. Le premier de ces textes fut probablement la correspondance d’Aristote avec Alexandre le Grand, traduit par Salm Abu al-'Ala'. À l’est, et dans un genre littéraire tout autre, Abdullah ibn al-Muqaffa traduisit les fables animales du Pañchatantra. Ces traductions ont gardé vivants l’érudition et l’enseignement, en particulier celui de la Grèce antique, alors que l’Europe était en plein Moyen-Âge. Beaucoup de ces travaux furent ensuite réintroduits en Europe par le biais des versions arabes.
La poésie arabe
Article principal : poésie arabe
Une grande partie de la littérature arabe précédant le XXe siècle se présente sous la forme de poésies, et même les écrits qui n’appartiennent pas à proprement parler à ce genre contiennent des bribes de poésie ou prennent la forme de la prose rythmée ou « saj' ». Les thèmes du registre poétique vont des oraisons solennelles aux pamphlets acerbes ou encore des compositions mystiques et religieuses aux poèmes célébrant la sensualité et le vin. Une des caractéristiques essentielles du genre poétique, et qui sera également recherchée dans tous les autres genres littéraires, est l’idée qu’il doit être agréable à l’oreille. La poésie et la majeure partie de la prose furent écrites dans le but d’être déclamées à voix haute, et un grand soin fut apporté pour rendre toutes les compositions aussi mélodieuses que possible. En effet « saj'» signifiait à l’origine « le roucoulement de la colombe ».
La littérature non fictionnelle
Les compilations et les manuels
Vers la fin du , Ibn al-Nadim, un libraire bagdadi, compila un travail de toute première importance pour l’étude de la littérature arabe. Son Kitab-al-Fihrist est un catalogue de tous les livres disponibles à la vente à Bagdad et il donne une fascinante vision d’ensemble de l’état de la littérature de cette époque.
Une des formes de littérature les plus fréquentes durant la période des Abbassides fut la compilation. Il s’agissait de collections de faits, d’idées, de poèmes et d’histoires instructives traitant d’un seul thème à la fois et recouvrant des sujets aussi divers que la maison et le jardin, les femmes, les resquilleurs, les aveugles, la jalousie, les animaux et l’avarice. Les trois dernières de ces compilations furent écrites par al-Jahiz, un maître incontesté du genre. Ces collections furent très utiles aux nadim (compagnon d’un chef ou d’un noble) dont le rôle était souvent de régaler leur maître avec des histoires et des nouvelles utilisées pour distraire ou pour conseiller.
Un autre type d’œuvre fut associé de près aux collections : il s’agit du manuel, dans lequel les écrivains comme ibn Qutaybah donnèrent des instructions sur des sujets comme l’étiquette, la manière de gouverner, d'être un bon bureaucrate et même d'écrire. Ibn Qutaybah écrivit également l’une des toutes premières histoires du peuple arabe en puisant à la fois dans les histoires bibliques et dans les contes populaires, mais aussi et surtout en se référant aux événements historiques.
Le thème de la sexualité fut fréquemment exploré dans la littérature arabe. Le ghazal ou poème d’amour a une longue histoire, étant parfois tendre et pur, et à d’autres moments beaucoup plus explicite. Dans la tradition soufie, les poèmes d’amour connaîtront une large portée mystique et religieuse. Des guides sexuels furent également rédigés, comme « Le jardin parfumé », le Tawq al-hamamah (« Collier de la colombe ») de ibn Hazm et le Nuzhat al-albab fi-ma la yujad fi kitab (« Jubilation des cœurs concernant ce qui ne sera jamais trouvé dans un livre ») de Ahmad al-Tifachi. D’autres ouvrages s’opposeront à de telles œuvres, comme le Rawdat al-muhibbin wa-nuzhat al-mushtaqin (« La prairie des amoureux et la distraction des amoureux éperdus ») d'Ibn Qayyim al-Jawziyya, qui donne des conseils sur la manière de séparer l’amour et la luxure et ainsi d’éviter le péché.
Les biographies, chroniques et récits de voyages
En dehors des premières biographies de Mahomet, le premier biographe majeur à approfondir des personnages plutôt que de se limiter à la rédaction d’hymnes de louange fut al-Baladhuri qui, avec son Kitab ansab al-ashraf ou « Livre des généalogies des nobles », présente une véritable collection de biographies. Un autre dictionnaire biographique important fut commencé par ibn Khallikan puis complété par al-Safadi. Enfin le Kitab al-I'tibar, qui nous relate la vie de Usamah ibn Munqidh et son expérience des batailles des croisades, constitua une des premières autobiographies d’importance.
Ibn Khurradadhbih, apparemment un fonctionnaire du service postal de l’époque, écrivit un des tout premiers guides de voyage. La forme se popularisa par la suite dans la littérature arabe à travers les ouvrages d’ibn Hawqal, d’ibn Fadlan, d’al-Istakhri, d’al-Muqaddasi, d’al-Idrisi ainsi que ceux d’Ibn Battûta dont les voyages restèrent mémorables. Ces ouvrages donnèrent une vision fascinante des nombreuses cultures du vaste monde islamique et offrirent également des perspectives de conversion des peuples non musulmans aux extrémités de l’empire. Ils firent connaître également à quel point les musulmans étaient devenus une puissance commerciale de premier plan. Le plus souvent, ces ouvrages prenaient la forme de comptes rendus foisonnant de détails géographiques et historiques. Ils donnèrent naissance à un genre littéraire à part entière que l'on nomme en arabe : rihla (رحلة) ce qui traduit signifie "voyage".
Certains écrivains se concentrèrent sur l’histoire en général, comme al-Ya'qubi et al-Tabari, alors que d’autres se focalisèrent sur des périodes et des lieux précis, comme ibn al-Azraq qui relate l’histoire de la Mecque ou ibn Abi Tahir Tayfur qui écrivit celle de Bagdad. Parmi les historiens arabes, c’est ibn Khaldun qui est considéré comme le plus grand penseur. Sa chronique Muqaddima, qui prend pour objet d’étude la société, est un texte fondateur de la sociologie et de l’économie arabe.
La littérature fictionnelle
Il y a comparativement peu de fiction en prose dans la littérature arabe, bien que de nombreuses œuvres non-fictionnelles contiennent de courtes histoires. Une large proportion de celles-ci ont probablement été inventées de toutes pièces ou embellies. L’absence d’œuvres fictionnelles complètes est en partie due à la distinction entre « a-fusha », la langue érudite, et « al-ammiyyah », la langue populaire. Quelques écrivains se sont efforcés d’écrire des œuvres en langue populaire, mais il a été ressentit que cette littérature devait s’améliorer et présenter des objectifs plus précis, c’est-à-dire être davantage instructive plutôt que d’avoir simplement un objectif divertissant. Ce point de vue n’a cependant pas mis fin au rôle traditionnel des « hakawati » ou conteurs d’histoires qui ont continué à raconter les épisodes distrayants des œuvres éducatives ainsi que les nombreuses fables et contes populaires qui n’étaient pas habituellement consignés par écrit.
Les contes des Mille et Une Nuits, qui sont parmi les plus connus de la littérature arabe et qui ont toujours un impact important sur les idées que les non-Arabes ont de la culture arabe, constituent cependant une exception notable à l’absence de fiction. Bien que considérés comme d’origine arabe, ils furent en fait développés à partir d’œuvres persanes, et les histoires elle-même ont peut-être des racines en Inde. Les histoires d’Aladin et la lampe merveilleuse et d’Ali Baba constituent de bons exemples de l’absence de prose fictionnelle populaire en arabe. Habituellement considérées comme des épisodes des Mille et Une Nuits, elles ne font en fait pas partie des contes originaux. Elles y furent incluses pour la première fois dans la traduction française des contes par Antoine Galland, qui les avaient entendus de la bouche d’un conteur traditionnel. Auparavant elles n’existaient que dans des manuscrits arabes incomplets. L’autre personnage haut en couleur de la littérature arabe fictionnelle, Sinbad, provient bien, lui, des Mille et Une Nuits.
Les Mille et Une Nuits sont généralement rangées dans le genre de la littérature arabe épique, au côté de nombreuses autres œuvres. Ce sont habituellement des collections de courtes histoires ou d’épisodes enfilés ensemble dans un long conte unique. Les versions étendues furent consignées par écrit, la plupart du temps assez tardivement, après le XIVe siècle, quoique nombre d’entre elles fussent indubitablement collectées plus tôt et que plusieurs des histoires originelles remontent probablement à l’époque pré-islamique. Dans ces collections on peut trouver de nombreux types d’histoires différentes telles que : des fables animales, des proverbes, des histoires sur le Jihad et la propagation de la foi, des contes humoristiques, des contes moraux, et même des contes traitant de personnages caractéristiques comme l’escroc rusé Ali Zaybaq ou le farceur Juha.
Le maqâma
Le genre maqâmat (مقامة), une forme intermédiaire de prose rimée, ne dépasse pas seulement l’opposition entre prose et poésie : elle est aussi une voie intermédiaire entre les genres fictionnel et non fictionnel. En dehors des séries de courts récits qui sont des fictions tirées de situations de la vie réelle, d’autres thèmes sont envisagés. Un exemple célèbre est le Maqâma sur le musc, qui se présente comme une comparaison des caractéristiques de différents parfums, mais qui est en fait une satire politique masquée faisant la comparaison entre plusieurs souverains concurrents. Le maqâmat fait également usage de la doctrine du "badi" qui consiste en l’addition délibérée de tournures littéraires complexes destinées à montrer la dextérité langagière de l’écrivain. Al-hamadhani est considéré comme le fondateur du genre maqâmat et ses travaux furent repris par Abu Muhammad al-Qasim al-Hariri, rédacteur d’un maqâmat qui constitue une étude des travaux d’Al-Hamadhani lui-même. Le maqâmat fut un genre incroyablement populaire de la littérature arabe. Il fut l’une des rares formes que l’on continua à utiliser durant le déclin de la littérature arabe au XVIIe et XVIIIe siècle et que Gibran Khalil Gibran a réinvesti au XXe siècle.[1]
Le déclin de la littérature arabe classique
L'expansion des populations arabes aux VIIe et VIIIe siècles les firent entrer en contact avec une variété de peuples différents qui ont, peu à peu, influencé leur culture. L'ancienne civilisation perse fut, de toutes, celle qui eu l'impact le plus important sur la littérature arabe. La Perse aimait toujours à se considérer comme la quintessence de la culture islamique en dépit de la régression de son influence depuis plusieurs siècles. « Shu'ubiyya » est le nom de la querelle qui opposait la vie rude, rurale et désertique des Arabes à celle du monde perse, plus aisée et plus raffinée. Bien que cela ait provoqué des débats passionnés parmi les érudits et contribué à la diversification des styles littéraires, ce ne fut pas un conflit préjudiciable car il y avait plus important à faire à l'époque, comme par exemple de forger une identité culturelle islamique unique. L'écrivain persan Bashshar ibn Burd résuma sa propre position dans les quelques lignes de poésie suivante :
Jamais il ne chanta les chants des chameaux derrière une bête galeuse,
Ni ne transperça la coloquinte amère, complètement affamé
Ni ne déterra un lézard du sol et le mangea…
L'héritage culturel des habitats arabes du désert a continué à montrer son influence même si de nombreux écrivains et érudits vivaient dans les grandes cités arabes. Lorsque Khalil ibn Ahmad a énuméré les parties de poésie, il nomma les strophes “bayt”, ce qui signifie “tente”, et les pieds “sabah”, ce qui signifie “corde de tente”. Même au cours du XXe siècle cette nostalgie pour la vie simple du désert apparaissait dans la littérature ou du moins les écrits postérieurs étaient consciencieusement remis au goût du jour. Une lente résurgence du persan et une délocalisation du gouvernement et des principaux centres d’apprentissage à Bagdad réduisirent la production de la littérature arabe. Les thèmes et les genres de la prose arabe furent majoritairement repris en persan par des auteurs comme Omar Khayyam, Attar et Rumi, qui furent tous manifestement influencés par les premières œuvres. Au début, la langue arabe conserva son importance dans les domaines politique et administratif, mais avec l’ascension de l’Empire ottoman son usage fut restreint à celui de la religion uniquement. C’est ainsi qu’à côté du persan, les nombreuses variantes des langues turques domineront la littérature des régions arabes jusqu’au XXe siècle, tous en intégrant quelques influences sporadiques de l’arabe.
La littérature arabe moderne
La nahda
On appelle littérature arabe moderne la littérature qui débute avec la nahda (نهضة). Ce terme, qu’il est convenu d’appeler Renaissance, signifie littéralement éveil, essor, envol. Ce mouvement est historiquement déterminé à partir du XIXe siècle. Il accompagne la longue agonie de l’Empire ottoman, qui au début du siècle comprend encore la plus grande partie du Moyen-Orient et du Maghreb. Il est contemporain des premières convoitises occidentales, la France, le Royaume-Uni et l’Italie se disputant ces provinces de l’Empire qui sera peu à peu démembré jusqu’à disparaître définitivement en 1923. Il est la conséquence indirecte des deux réformismes politico-religieux qui ont surgi au milieu du XVIIe siècle : celui de Mohamed ibn Abd al-Wahhab (1703-1792), qui prêchait le retour à un islam primitif, débarrassé des innovations postérieures au IXe siècle ; et celui de la confrérie des Sénoussis (Libye) qui prônait, dès 1835, la résurrection nationale et luttait contre les Ottomans d’abord, les Italiens ensuite. Ce réveil est aussi le résultat et l’un des moteurs des réformes économiques, sociales et politiques que la Sublime Porte fut peu à peu obligée de consentir, et de celles qui, à la suite de la campagne de Napoléon Bonaparte (1798-1801), furent commencées en Égypte par Muhammad ‘Alî (1805-1839), puis poursuivies par son fils ‘Ismâ‘il (1863-1879). Il est enfin, au Liban et en Syrie, la conséquence de l’activité accrue des missionnaires, qui se servent de l’arabe pour leur enseignement et leur propagande, fondent des établissement scolaires, puis militaires, et installent des imprimeries. Cet ensemble de facteurs va peu à peu transformer les mentalités, si bien que vers le milieu du siècle émerge au Proche-Orient ce que l’on a pu appeler l’intellectuel moderne. C’est du milieu du XIXe que l’on date parfois la Nahda, le réveil des lettres arabes se produisant à cette époque. Cependant, on considère souvent que l’événement qui en marque le début est la campagne d'Égypte de Napoléon, puisque c’est à ce moment que le monde moderne fait son intrusion dans la région. Entre 1798 et 1801, Bonaparte va occuper l’Égypte afin de couper la route des Indes aux Britanniques et d’en faire une colonie. L’armée française met en déroute les gouverneurs mamlouks, et occupe le pays, ce qui va achever de déconsidérer les anciens gouvernants aux yeux des Arabes. Elle est accompagnée de techniciens, d’administrateurs, de savants, qui excitent la curiosité des ‘ulamâ’ et les initient au savoir occidental. Le chroniqueur et historien ‘Abd ar-Rahmân al-jabarti (1753-1825) donne un précieux témoignage de cet émerveillement des élites, doublé de la prise de conscience du retard de leur pays sur l’Europe. Le projet militaire des Français échoue ; cependant, à leur départ, les ‘ulamâ’ feront tout pour empêcher le retour au pouvoir des mamlouks et élisent comme gouverneur Muhammad ‘Alî, officier albanais de l’armée turque. Celui-ci, militaire, a pour priorité la modernisation de l’armée et de l’appareil d’État. Néanmoins, il a conscience que toute réforme passe par la formation d’une élite et donc par la mise en place d’une politique éducative ouverte. Dans ce but, il fonde la première imprimerie égyptienne à Bûlâq en 1822, ouvre des écoles laïques, primaires et secondaires, et envoie des étudiants boursiers se former en Europe. Ces trois facteurs seront les éléments déterminants du renouveau de la littérature arabe.
Cette renaissance ne fut pas seulement ressentie au sein du monde arabe, mais également au-delà, à travers un grand intérêt des Européens pour la traduction des œuvres arabes. Bien que l’usage de l’arabe fut ravivé, beaucoup de tropes de la littérature classique qui la rendaient si complexe et ornée furent abandonnés par les écrivains modernes. D’autre part, les formes littéraires occidentales comme la nouvelle ou le roman furent préférés aux formes de la littérature traditionnelle arabe.
Tout comme au VIIIe siècle, lorsqu’un mouvement de traduction du Grec ancien revitalisa la littérature arabe, un autre mouvement de traduction depuis les langues occidentales va offrir de nouvelles idées et de nouveaux matériaux pour l’arabe. Un des tout premiers succès fut Le Comte de Monte-Cristo qui inspira ensuite une foule de romans historiques sur des thèmes spécifiquement arabes. Rifa'a al-Tahtawi et Jabra Ibrahim Jabra furent deux des traducteurs importants de cette époque.
Lors de la deuxième moitié du XXe siècle, des changements politiques majeurs dans le monde arabe ont rendus la vie des écrivains plus difficile. Nombre d’entre eux ont souffert de la censure, tel Sun'allah Ibrahim, et d’autres furent emprisonnés comme Abdul Rahman Munif. En même temps, ceux qui avaient rédigé des œuvres favorables aux gouvernements furent promus à des postes élevés dans les institutions culturelles. Des chroniqueurs et des lettrés rédigèrent également des polémiques politiques et des critiques ayant pour but de remodeler la politique arabe. Parmi les plus connus on trouve Le futur de la culture en Égypte de Taha Hussein, qui fut une œuvre majeure sur le nationalisme égyptien, ou encore les œuvres de Nawal el Saadawi qui milita pour les droits des femmes.
Le roman arabe contemporain
Le renouveau de la période nahda fut caractérisé par deux tendances majeures :
- le mouvement néo-classique, "Ihyâ'" (احياء), qui signifie littéralement "réanimation" ou "revivification" et qui consiste à se tourner vers le patrimoine arabe classique pour le réinventer. Ce mouvement chercha à redécouvrir les traditions littéraires du passé et fut influencé par les genres littéraires traditionnels comme le maqâma et Les Mille et Une Nuits.
- le mouvement moderniste, "Iqtibâs" (اقتباس), qui signifie littéralement "allumage de son feu au foyer d’un autre" et qui consiste à puiser son inspiration dans les œuvres littéraires européennes, voire à les adapter ou à les imiter. Ce mouvement prit naissance avec la traduction des œuvres occidentales, essentiellement les romans, en arabe.
Tout au long du XIXe siècle, de nombreux auteurs explorent les relations entre Orient et Occident. Parmi eux on trouve le réformateur Rifa'a al-Tahtawi (1801-1873) ou encore Alî Mubârak (1823-1893). Des auteurs individuels en Syrie, au Liban, et en Égypte créèrent des œuvres originales en imitant le classique maqâma. L’un des plus remarquables fut Muhammad al-Muwaylihî, dont le livre Le Hadith de Issa ibn Hisham (حديث عيسى بن هشام) constitua une critique de la société égyptienne sous le règne d'Ismaïl Pacha. Cette œuvre représenta la première étape du développement du roman arabe moderne. Cette tendance fut suivie par Georgy Zeidan, un écrivain chrétien libanais qui émigra avec sa famille en Égypte à la suite des émeutes de Damas en 1860. Au début du XXe siècle, Zeidan publia ses romans historiques sous la forme de feuilletons dans le journal égyptien al-Hilal. Ces romans furent extrêmement populaires grâce à la clarté de leur expression, à leur structure simple et à la vive imagination de l’auteur. Khalil Gibran et Mikha’il Na’ima furent deux autres auteurs majeurs de cette période. Tous deux incorporèrent des rêveries philosophiques dans leurs œuvres.
Néanmoins, les critiques littéraires ne considèrent pas les œuvres de ces quatre auteurs comme étant de véritables romans, mais plutôt comme précurseurs des formes que le roman arabe moderne va incarner. Nombre de ces critiques désignent Zaynab, le roman de Muhammad Husayn Haykal, comme le premier véritable roman de langue arabe ; mais d’autres lui préférent Adraa Denshawi de Muhammad Tahir Haqqi. Un des thèmes récurrents du roman arabe moderne est l’étude de la vie de famille, qui présente un parallèle évident avec la famille arabe internationale du monde. Nombre de romans n’ont pas pu éviter les questions politiques et les conflits des régions dans lesquelles la guerre a souvent joué un rôle de fond dans l’apparition des drames familiaux. Les œuvres de Naguib Mahfouz dépeignent la vie au Caire, et sa Trilogie du Caire, qui décrit les luttes d’une famille moderne du Caire à travers trois générations, lui a valu le prix Nobel de littérature en 1988. Il fut le premier écrivain arabe à obtenir ce prix.
Les arts de la scène
Ce n'est qu'à l'époque contemporaine que le théâtre et les arts de la scène sont devenus une partie visible de la littérature Arabe. Il y a peu être eu une tradition théâtrale plus ancienne, mais elle ne fut probablement jamais considérée comme étant légitime et la majeure partie de ces œuvres ne fut jamais consignée. Il existe cependant, une ancienne tradition de représentations publiques parmi les musulmans Chiites qui consistent en une pièce dépeignant la vie et la mort de Hussein ben Ali lors de la bataille de Kerbala en 680 ap-JC. On peut trouver également de nombreuses pièces composées par Shams al-din Muhammad ibn Daniyal au XIIIe siècle. A cette époque il mentionne que les vieilles pièces de théâtre sont devenues démodées et offre donc ses œuvres comme nouveau matériau.
De nouvelles pièces de théâtre ont commencé à être écrites au XIXe siècle, principalement en Égypte. Elle furent, au départ, essentiellement des imitations d'œuvres françaises ou du moins fortement influencée par elles. Il fallut attendre le XXe siècle pour voir se développer un style plus typiquement arabe qui va se répandre. Le plus important des dramaturges Arabes fut Tawfiq al-Hakim, dont la première pièces mettait en scène l'histoire coranique des Sept Dormants d'Éphèse et la deuxième un épilogue des Milles et Une Nuits. Yusuf al'Ani d'Iraq et Sa'dallah Wannus de Syrie furent deux autres dramaturges importants de cette époque.